Rechercher dans ce blog

mercredi 14 février 2018

Géographie d'un adultère d'Agnès Riva


Éditions Gallimard l'arbalète
★★★☆☆ (J'ai bien aimé)

C'est à la fin d'une rencontre autour de son dernier livre : rien à voir avec l'amour que Claire Gallen m'a conseillé la lecture du premier roman d'Agnès Riva : Géographie d'un adultère. Mais, elle a modifié le titre et son erreur est très révélatrice : elle m'a dit : « Lisez Autopsie d'un adultère » et effectivement, ce texte m'a fait penser à une autopsie, comme si on allongeait l'adultère à la morgue sur une table froide en métal, qu'on examinait tous les replis du cadavre à la loupe, plaies, lésions, ecchymoses afin d'en faire un rapport neutre et froid. Il y un côté « Nouveau Roman » dans ce texte qui s'attache à décrire presque cliniquement l'histoire d'une passion amoureuse (enfin, le terme passion est peut-être un peu fort) en soulignant notamment le lien entre l'évolution de la relation et les lieux dans lesquels elle s'exprime. Pas très glamour tout ça. Non, mais c'est une expérience tout à fait étonnante où les personnages tiennent lieu de rats de laboratoire.
La difficulté de l'adultère, c'est que, par définition, il n'a pas de lieu à soi, pas de room of one's own aurait dit Virginia Woolf : en effet, on n'habite pas avec son amant(e).
Donc, il faut trouver des espaces d'accueil comme, par exemple, l'habitacle de la voiture (chapitre un). Chez le couple qui nous intéresse, l'homme, Paul, a une voiture confortable : fauteuils en cuir ergonomiques, accoudoirs, clim et Ema (Emma... La Bovary ?), l'amante, « se sent alors submergée par un sentiment de confiance et de liberté absolue » (quand la voiture roule, bien sûr!) Cela étant, la main droite de Paul passant du levier de vitesse au genou d'Ema, « geste automatique », donne parfois à la jeune femme l'impression désagréable de « rejoindre le domaine des accessoires ». Dès que les portières sont refermées, ils sont chez eux, enfin presque, car aucun rideau ne les sépare de la rue ou alors, il faut tenter de se garer dans des angles morts (quelle poésie!). En tout cas, « c'est dans ce lieu seulement que Paul dit nous. »
Que je vous dise un mot de Paul : « expert en bâtiment et travaux publics », il est monsieur je décide de tout, je contrôle tout, je ne me laisse pas aller, pas un brin de folie, pas un dérapage, il est rationnel et raisonnable (beurk!) : on sent qu'il n'est pas prêt à renoncer à sa petite vie pépère avec Bobonne. Très vite, il pose les règles (Vous noterez la fréquence de l'impératif!) : « Épargne-toi d'établir une comparaison et de lister tout ce qu'il nous est impossible de faire, sinon tu ne pourras que te heurter à un mur. », « De notre relation, rien ne doit transparaître. », « Cloisonne, ne laisse pas tes émotions personnelles empiéter sur des jugements qui doivent rester rationnels. » Courage, fuyons !!! Ema, plus romanesque (ce n'est pas difficile!), serait disposée à tout larguer du jour au lendemain, laissant mec et progéniture se débrouiller sans elle.
Donc, pas très raccords Ema et Paul, pas franchement étonnant qu'il crève dans l'oeuf cet adultère !
Autre lieu amoureux, chapitre deux, « le coin de la cuisine de la maison d'Ema, compris entre l'évier et le réfrigérateur ». (Je vous rappelle, au cas où vous l'auriez oublié, qu'on est dans une histoire d'amour, pas dans un congélateur ni sur la banquise…) Bon, pourquoi cet endroit ? Parce que cinq centimètres de plus à gauche ou à droite et… on est vu de la rue !
(Entre nous… quel boulot l'adultère ! Je suis l'Oblomov de l'adultère : je ne m'y lancerais pas par pure paresse… )
Revenons à nos espaces somme toute étriqués où nos tourtereaux vont pouvoir « étancher leur soif d'unité physique » dans une position assez inconfortable, mais bon chacun… (Je me permets de le préciser mais je pense que vous l'aurez bien compris, ne vous attendez pas à des scènes torrides, vous seriez déçus!) Parfois, c'est Ema qui se tue le dos contre l'évier, parfois c'est Paul. Et quand c'est Paul qui a le dos contre l'évier (vous suivez?), Ema se trouve plus ou moins dans la position qu'elle a quand elle fait la vaisselle...
Géographie de l'adultère ou l'anti-manuel du romantisme.
Un autre lieu d'amour ? Le boulot : Paul aime bien retrouver Ema dans le cadre du travail (ils se sont rencontrés au Conseil des Prud'hommes) car il sait que c'est un endroit où « leur relation ne s'approfondira jamais ». (C'est bien ce que je pensais.) Elle, au contraire, aimerait bien laisser traîner quelques indices…
Autre espace amoureux : chez Paul : bof, bof. C'est petit-bourgeois-tristounet, elle aime mieux encore être chez elle et on la comprend,
Retour chez Ema donc : « le coin derrière la porte d'entrée ». Vous ne visualisez pas ? Je vous aide ? « Il s'agit d'un carré situé derrière la porte d'entrée, mesurant à peine un mètre sur dix, ouvert sur la salle à manger, délimité d'un côté par un placard contenant un seau, des balais, ainsi qu 'un compteur électrique, et de l'autre par la cloison du garage. »
Bon, c'est pas vue sur l'océan mais il faut faire avec. Le narrateur précise que « cet espace entre à peine dans l'inventaire des surfaces de la maison » : c'est un non lieu, un espace qui n'existe pas pour des gens qui, dans le fond, semblent vivre tout ce que l'on veut sauf une passion.
A vrai dire, je ne sais pas comment il faut lire ce roman, s'il doit être pris comme une espèce de tragédie de l'adultère : comment l'amour, si fort soit-il, peut-il s'épanouir dans des espaces très circonscrits, exigus au possible, anonymes et froids ?
Je l'ai plutôt pris au second degré et me suis beaucoup amusée à observer les sentiments s'user jusqu'à la corde dans ces lieux grands et accueillants comme des placards à balais. Il faut un amour beaucoup plus fort pour résister à toutes ces contraintes. Et encore… A un certain âge, si on n'a pas de confort… J'ai donc été tentée de mettre de l'ironie derrière les phrases à la syntaxe neutre, quasi clinique de ce roman.
Personne n'avait encore raconté une histoire d'amour sous cet angle… Et ce roman, au fond, met en évidence une chose pas belle à voir : combien de temps le noble sentiment qu'est l'amour tient-il coincé entre l'évier et le frigo, le frein à main et le repose-tête ? 
C'est triste à dire mais cette Géographie d'un adultère nous dit clairement que sans lieu à soi, le plus bel amour s'épuise vite, très vite même… 
A quoi ça tient les sentiments...

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire