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vendredi 9 février 2018

Le Poids de la neige de Christian Guay-Poliquin


Les Éditions de l'Observatoire
★★★☆☆ (J'ai bien aimé)

Figurez-vous qu'au moment même où j'ouvrais les premières pages de ce livre, quelques flocons commençaient à tomber sur mon village normand. Maintenant, une couche de neige bien épaisse recouvre tout le paysage. Personne dans les rues. Difficile alors d'être plus en phase avec un livre qui raconte le quotidien de deux hommes coupés du monde dans un paysage enseveli sous la neige ! Bon, ma maison a l'air plus solide que la leur (enfin j'espère!), on trouve encore de quoi manger dans l'épicerie du coin et ce soir, je pourrai allumer la lumière (le dire porte malheur, alors je me tais !) Passons...
Le Poids de la neige m'a fait penser à d'autres livres que j'ai lus récemment et qui racontaient le quotidien de gens privés d'électricité, dans une atmosphère de fin du monde (comment pourrait-il en être autrement?) : le merveilleux livre de Jean Hegland Dans la forêt et celui d'Emily St. John Mandel : Station eleven. Comme quoi, la privation d'électricité est visiblement LA phobie du XXIe siècle : plus de chauffage, d'eau chaude, de téléphone, d'ordinateurs et de tout ce qui est informatisé (je vous laisse faire la liste, elle est infinie !) Une autre vie quoi !
Dans ce roman, deux hommes sont amenés à partager leur quotidien dans une maison abandonnée : l'un, le narrateur, un jeune mécanicien, est revenu au village pour voir son père mourant. Mais, sur la route, il a eu un très grave accident et a perdu momentanément l'usage de ses jambes. Il est alité et muet.
L'autre, Matthias, un homme âgé, était de passage lorsqu'il a dû trouver refuge à cause du froid. Il espère repartir au plus vite pour retrouver sa femme restée en ville. En attendant, il est coincé. Il s'occupe de soigner son coloc' (en échange, on lui a promis une place dans un convoi qui partira au printemps), fait la cuisine, le ménage, alimente le poêle, lit, part dans le village à la recherche d'une nourriture qui se raréfie. Il tente aussi d'engager la conversation mais le plus jeune ne répond pas.
Il y a du En attendant Godot dans cette œuvre, ce huis clos, où l'on attend de pouvoir repartir mais vers quoi exactement ? Y a-t-il encore quelqu'un ailleurs ? Une âme qui vive ? Et où ? Dans quelle direction ? Et que faire de ce moment présent qui s'étire infiniment ? Comment le remplir, l'occuper, faire en sorte de ne pas devenir fou ? Regarder la neige tomber, s'accumuler, rendant impossible tout désir d'évasion est-il un divertissement « suffisant » ? (Je repense, veuillez m'en excuser, c'est obsessionnel chez moi, à un de mes romans préférés : Un Roi sans divertissement de Giono dont le thème central est précisément celui de l'ennui et de la nécessité pour l'homme de se divertir, de se détourner de sa condition de mortel en se divertissant - chasse, pêche, balades, meurtres (eh oui!). Des disparitions étranges ont lieu l'hiver dans un petit village de montagne recouvert de neige… Je ne vous en dis pas plus...) Faut-il profiter du moment présent, admirer la beauté de ce paysage à la fois fascinant et dangereux, contempler la beauté qui est offerte ? Ou bien faut-il tenter de fuir au plus vite au risque de rester bloqué et de mourir ?
Et cet autre, là, celui avec lequel on partage ce quotidien étrange, faut-il le supporter, l'aider, le soigner ou... le tuer ? Doit-il devenir un ami ou un ennemi ? Plus on avance dans l'oeuvre, plus la tension est palpable entre les deux hommes. La relation oscille sans cesse entre la solidarité et la méfiance, mais jusqu'à quand tiendront-ils ainsi ?
La seule chose qui change, chaque jour, c'est l'épaisseur de la couche de neige dont la mesure précise est indiquée en tête de chapitre - d'ailleurs, dans un premier temps, je me suis demandé à quoi ces nombres correspondaient. Le narrateur observe ces variations sur un piquet planté à l'extérieur et il peut les surveiller de loin grâce à la longue vue que Matthias lui a donnée. Et chaque jour, ça empire, rendant impossible toute évasion comme si l'hiver prenait en otage deux hommes, les obligeant à demeurer loin de tout dans une solitude oppressante. L'auteur, interviewé, avoue qu'il adore les récits dans lesquels il ne se passe rien car tout peut arriver à chaque instant. Et c'est vrai qu'il y a une tension réelle dans ce roman.
Je regarde par la fenêtre, la neige s'épaissit, la nuit va bientôt tomber. La lumière est étrange ce soir. Je vois mon voisin, plus tout jeune, qui sort. Je m'interroge sur ce que deviendraient nos rapports si l'électricité venait à manquer, entraînant l'absence de nourriture et de chauffage. Reste-t-on humain dans un monde sans électricité ? Une seule chose en moins,(bon d'accord, l'électricité, ce n'est pas rien) et le monde serait tout autre, comme quoi, finalement, notre civilisation ne tient pas à grand-chose... Ce serait très probablement l'effondrement de la vie en société, de notre comportement civilisé. Nous redeviendrions des bêtes sans morale, prêtes à tout pour survivre.
Mon voisin retourne à pas tranquilles vers sa maison, il me voit derrière ma fenêtre et me fait un petit signe : j'ouvre. « ça vous dirait un peu de mâche ? De ce temps-là, on va la perdre, je vous en mets dans un sac. »
Tout va bien.
S'il savait ce que j'avais en tête deux minutes plus tôt, il serait horrifié...

Je vous aime, frères humains, à condition que l'électricité parvienne jusque chez moi… 

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